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De l’autre côte de la frontière

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De l’autre côte de la frontière

Le docteur Florence Kortuem examine un patient au dispensaire de la Croix-Rouge allemande.
©FREDRIK KARKENHAMMAR / CROIX-ROUGE ALLEMANDE

Assistance pour les déplacés

Près d’un million de personnes ont dû abandonner leurs foyers et sont aujourd’hui installées dans des camps provisoires disséminés à travers le pays. Le camp d’Abu Shok a été établi près d’Al-Fasher à l’issue de discussions entre les autorités locales et les représentants du, qui ont insisté sur la nécessité de choisir un emplacement à la fois sûr et à l’abri des inondations pendant la saison des pluies. Makbuleh Ali Mohammed, une frêle jeune femme de dix-huit ans, a offert ses services dès le premier jour. Durant des semaines, sous un soleil de plomb, elle a aidé les spécialistes de l’approvisionnement en eau et de l’assainissement à localiser les endroits appropriés pour l’installation des latrines, des réservoirs d’eau et des lavoirs, pour un camp qui devait s’étendre sur près de 400 hectares de dunes. Depuis deux ans déjà, elle travaillait comme volontaire à la section Croissant-Rouge de son village natal, mais sa famille avait dû s’enfuir à la suite d’une attaque et chercher refuge à Al-Fasher. Ayant entendu parler du projet de camp, elle s’était donc spontanément présentée à la branche locale du Croissant-Rouge soudanais pour proposer son aide.

Quelques mois plus tard, le camp d’Abu Shok peut afficher un remarquable palmarès d’accomplissements réalisés avec le concours de diverses agences humanitaires et organisations non gouvernementales tant locales qu’internationales. On a mis en place des services de base pour les résidents, foré des puits, installé des latrines, organisé des distributions de nourriture et créé des classes pour les enfants. Néanmoins, le manque de perspectives d’avenir pèse lourdement sur les esprits, note Ghali Hassan Nurell, un jeune volontaire du Croissant-Rouge. Lui-même déplacé, il s’occupe en ce moment de 500 familles qui viennent d’arriver. Chacune monte un assemblage de piquets qui supportera la bâche goudronnée que leur fournit Ghali.

Au camp de Kalma, aménagé à la périphérie de Nyala, la capitale du sud, la géographie et le climat sont tout différents. C’est la saison des pluies et les baobabs sont en pleine floraison. La terre présente une chaude teinte ocrée, mais elle n’absorbe pas l’eau qui, après chaque orage, forme de vastes flaques sur tout le site. On a installé des latrines sèches et des bassins pour la lessive, mais de gros efforts sont nécessaires pour assurer un degré d’hygiène suffisant pour éviter la propagation d’épidémies parmi les dizaines de milliers de personnes massées dans un espace restreint.

“Maintenant, je connais bien certains des enfants qui fréquentent le secteur de notre dispensaire de santé”, raconte Beatriz Lopez, une déléguée de la Croix-Rouge espagnole qui travaille à l’administration du camp. “Il y en a un qui ne dit jamais rien. Il se contente de me fixer avec des yeux immenses en tenant ma main. Même quand d’autres veulent me serrer la main, il ne la lâche pas. Je n’arrive pas à le regarder longtemps, ça me met mal à l’aise, je suis envahie par des sentiments de panique et de honte.”

Près d’un million de personnes ont dû abandonner leur foyer et sont aujourd’hui installées dans des camps provisoires disséminés à travers le pays.

Une crise socio-économique

Dieter Schnabel vient d’arriver à la délégation du CICR à Nyala. Il doit s’embarquer sur un vol à destination de l’État de Bahr al Ghazzal, à la frontière méridionale du Darfour. En plus d’une année de travail dans le cadre d’un projet de développement de la Croix-Rouge allemande, il a amplement l’occasion de mesurer l’impact dévastateur du conflit sur l’économie régionale.

Des tribus nomades comptant des dizaines de milliers de têtes de bétail sont bloquées dans le sud à cause de la violence, alors qu’elles devraient migrer vers le nord pour assurer la survie de leurs troupeaux. Il en résulte une raréfaction du fourrage et une augmentation du prix des denrées alimentaires qui minent dangereusement l’équilibre socio-économique de la région. Les combats et les pillages ont aussi bouleversé les antiques traditions d’échanges entre les éleveurs nomades et les cultivateurs locaux. En raison de l’insécurité, les gens n’osent plus se rendre sur les marchés pour écouler leurs produits. Tout le monde pâtit cruellement de ce climat délétère.

Abd el Karim Idriss Hassan, directeur du Croissant-Rouge pour le Darfour méridional, se fait l’écho de son homologue du Darfour septentrional, Barakat Faris, en confirmant que cette crise a au moins le mérite d’encourager les délégués du CICR et les volontaires du Croissant-Rouge soudanais à dialoguer et à unir leurs efforts. Il conclut par cette question qui mérite qu’on s’y arrête: “Comment nous voyez-vous, nous les Darfuris?”.

Roland Huguenin-Benjamin
L’auteur a effectué une mission au Darfour en août en qualité de chargé de presse du CICR.

De l’autre côte de la frontière

La Fédération internationale administre un camp au Tchad pour 15 000 réfugiés du Darfour.

Des réfugiés s’apprêtent à embarquer sur un camion de la Croix-Rouge à destination de Tréguine, où ils bénéficieront d’une aide humanitaire convenable.
©GAUTHIER LEFEVRE / FÉDÉRATION INTERNATIONALE

‘‘ENFIN nous avons un endroit où nous reposer”, soupire Mafadhal Ali Mohammed, alors qu’un volontaire de la Croix- Rouge du Tchad indique à sa famille les tentes qui vont, pour un temps, leur tenir lieu de foyer. Après plusieurs mois d’errance à travers les frontières dans un désert inhospitalier, ils sont arrivés au nouveau camp ouvert par la Croix- Rouge à Tréguine, dans l’est du Tchad.

“Nous sommes épuisés”, poursuit-il. “Quand notre village a été attaqué, nous nous sommes enfuis à pied avec quelques animaux. Il nous a fallu plusieurs semaines pour parvenir au Tchad. Toutes nos bêtes sont mortes en route et nous avons bien cru connaître le même sort.”

Mafadhal, ses deux épouses et leurs cinq enfants ont survécu pendant quelque temps dans les parages de la ville frontalière d’Adré, grâce à la générosité de la population locale et à divers petits travaux. Quand la nourriture a commencé à manquer, la famille a rassemblé à nouveau ses maigres biens et marché durant trois jours pour atteindre le camp du Haut- Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) le plus proche – celui de Breijing.

“Dès que nous avons été en vue du camp, nous nous sommes posés et n’avons plus bougé”, raconte Mafadhal. “Au début, nous étions seuls, mais, bientôt, d’autres familles sont venues s’installer près de nous. Nous avons monté un vague abri sur un escarpement rocheux et avons attendu.” Hélas, leur espoir de bénéficier d’une aide humanitaire adéquate a été déçu une fois encore. Prévu initialement pour accueillir 20 000 résidents, le camp en comptait déjà plus de 45 000 dans un dénuement total et des dizaines d’autres affluaient jour après jour. Il n’y avait pas assez de nourriture, d’eau ni d’installations pour tout le monde.

Comme des milliers d’autres réfugiés surnuméraires, Mafadhal et les siens ont lutté pour leur survie aux abords du camp, se contentant des maigres reliquats de l’aide extérieure et des présents de voisins mieux lotis.

La pire crise de réfugiés du continent

Plus d’un million d’habitants de la province soudanaise du Darfour ont été chassés de leurs foyers par le conflit. Environ 200 000 sont parvenus à se mettre en sécurité au Tchad. Tous portent encore les stigmates physiques et psychologiques de leurs épreuves.

“Des avions ont bombardé notre village et l’ont réduit en cendres”, raconte Mafadhal. À l’évocation des circonstances qui ont causé leur exil, les enfants font subitement silence. “Nous avons couru vers les collines et sommes restés terrés jusqu’à la fin du raid. Quand nous sommes redescendus pour voir ce qui subsistait de notre foyer, des milices nous ont attaqués à leur tour, tuant plusieurs villageois.”

Aujourd’hui, dans les camps, les enfants s’enfuient encore au bruit des avions et à la vue des appareils photo des journalistes, qu’ils prennent pour des armes. Le déplacement d’une population si nombreuse a entraîné une crise humanitaire aiguë. Les réfugiés qui sont parvenus à gagner le Tchad se sont retrouvés dans une région aux ressources très limitées, où le manque d’eau et de nourriture a rapidement provoqué une véritable explosion des cas de malnutrition, de diarrhée et autres maladies. Les équipes médicales présentes sur le terrain surveillent de très près la situation sanitaire. Elles sont particulièrement attentives à l’éventuelle apparition de cas de choléra, car une flambée de cette maladie pourrait avoir des conséquences dramatiques. Dans le nouveau camp de la Croix-Rouge, il sera plus facile de répondre aux besoins les plus pressants des réfugiés et de contrôler les conditions de santé.

Le Mouvement se serre les coudes

“L’installation de ce camp n’a pas été une sinécure”, rapporte Langdon Greenhalgh, qui administre le site pour le compte de la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. “Quand je suis arrivé ici, la saison des pluies battait son plein et le moindre déplacement était un véritable cauchemar.”

Avant de parvenir à destination, Langdon est resté bloqué plusieurs jours par un wadi gonflé par les pluies diluviennes qui inondent la région pratiquement chaque jour entre juin et septembre. Inutile de dire que, dans de telles conditions, l’acheminement des tonnes d’équipements, fournitures et autres matériaux requis pour l’aménagement du camp a relevé de l’exploit. “Sans la mobilisation du Mouvement tout entier, le camp n’aurait jamais vu le jour”, confesse le directeur.

La Croix-Rouge du Tchad, qui était sur le terrain depuis le début de la crise, a sensiblement renforcé les ressources humaines et matérielles affectées à l’opération. Pour la soutenir, la Fédération internationale a déployé des délégués spécialisés ainsi que des équipements tels que tentes, fournitures médicales et ustensiles de cuisine.

Les Sociétés nationales danoise, française, britannique, allemande, finlandaise, autrichienne et suédoise ont contribué à l’effort en détachant des unités d’intervention d’urgence (ERU). Les vingt-trois camions à six roues motrices donnés par la Croix-Rouge de Norvège, affectés six mois durant au transfert de réfugiés dans d’autres camps, ont servi à convoyer hommes et matériel jusqu’à Tréguine. Actuellement, ils font la navette, sans discontinuer, entre le site de Breijing et le nouveau camp distant de 3 kilomètres, transportant les réfugiés et leurs effets personnels.

Pour sa part, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a mis sur pied un service de recherches pour réunir les familles séparées par le conflit, et il s’emploie activement à promouvoir les principes du droit international humanitaire parmi un large éventail de fonctionnaires, de réfugiés et d’employés humanitaires.

Quelles perspectives d’avenir?

Alors qu’ils retrouvent peu à peu des conditions d’existence convenables, les réfugiés soudanais au Tchad sont libres de laisser leurs pensées se tourner à nouveau vers leurs foyers et leurs villages au Darfour.

“Reverrai-je jamais ma terre?”, s’interroge Mafadhal. “La nuit, je n’arrive pas à trouver le sommeil à cause de mes amis perdus, de ma maison détruite, de mes biens volés. Ici, à Tréguine, la Croix-Rouge nous donne à manger, de l’eau, une tente pour nous abriter. Mais pourrons-nous vraiment vivre pleinement loin de chez nous?”